La couture de l'esprit

Il y a ceux qui jouent à se faire peur, en regardant des films d’horreur ou en campant dans les bois la nuit.

Moi je joue à me faire mal depuis un an et demi. Est-ce que je me punie ? Je ne suis pas psy mais la réponse me semble presque trop évidente.

Je me replonge sans cesse dans les recherches médicales, les études sur le thème des morts fœtales in utero, je possède une collection impressionnante de livres sur le sujet …

Pourtant, ce que je lis ne rasure pas, ne m’apaise pas, au contraire !

0,04% des couples sont un jour confrontés à une MFIU …

Dans 70% des cas, l’autopsie pratiquant sur le bébé permet d’en trouver la cause …

(CF : « L’attente et la Perte du bébé à naître », de Micheline Garel et Hélène Legrand)

J’ai l’immense honneur de faire partie de ces 0,04%, et des 30% de parents à qui on ne donnera jamais d’explication pour apaiser leur conscience.

Je vais passer le reste de ma vie à refaire le film des jours qui ont précédé l’annonce, cette put*** d’échographie ou le minuscule cœur de mon fils avait cessé de battre. Tout ce que j’ai fait, tout ce que j’ai mangé. Mes gestes, mes humeurs … plus je passe en revue ces moments, plus je me persuade que je suis coupable. Mon bébé allait bien, mon bébé vivait et grandissait… Plus personne ne cherchera d’explication, son petit corps est parti, une immense partie de ma vie avec lui.

Finalement, porter des enfants dans mon ventre aura été autant la plus belle des choses qu’il m’ait été donné de vivre, et aussi la cause de ma culpabilité sans fin. Le Paradis et l’Enfer …

Et puisqu’avec des « si » on refait un monde, je me flagelle souvent avec des questions absurdes …

« mais si Gabi était né, Laora ne serait pas là … »

Et le monde sans elle est juste absurde, rien que de l’envisager je deviens dingue !

« et si Gabi était né, je n’aurai jamais rencontré mes amies mamanges, et mes amies marsettes ! »

Alors que sans elles, mes journées seraient bien tristes. Leur amitié m’est essentielle.

Pourtant il m’est impossible de penser « c’est une bonne chose que Gabriel ne soit pas né finalement», car non, c’est atroce, c’est absurde, c’est une plaie qui saigne sans s’arrêter …

Dans n’importe quel sens, la vie me rend coupable de penser !

J’ai sans cesse cette impression de devoir choisir entre mon fils et ma fille, alors qu’ils sont autant mes bébés l’un que l’autre, que je les aime autant l’un que l’autre. Différemment, par la force des choses, mais jamais moins.

Ce qui ne fait aucune doute, et malgré tout ce que cela implique en terme de souffrance et de culpabilité envers mon fils, c’est que si Dieu me donnait la possibilité de revenir en arrière et de changer le destin, je lui répondrais « non merci, je vous fais confiance, je retrouverai mon fils plus tard, et nous aurons l’éternité à nous consacrer » …

Que mon fils me pardonne d’être heureuse de ma vie aujourd’hui, qu’il me pardonne d’essayer d’apaiser mon cœur en me résignant à le savoir au Ciel, qu’il me pardonne et accepte de m’attendre, je vais consacrer ma vie entière à me coudre une belle âme pour le rejoindre …

Je vais consacrer ma vie entière à prendre soin de ses frères et sœurs …